Birmanie: “Déplacés, tués, kidnappés, lesRohingyas sont victimes de génocide”

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Birmanie: “Déplacés, tués, kidnappés, lesRohingyas sont victimes de génocide”

Aung San Suu Kyi a annoncé l’arrestation de policiers auteurs de violences sur des Rohingyas, après la diffusion d’une vidéo tournée dans l’ouest du pays. Un véritable nettoyage ethnique serait en cours, comme le confirme Nordine Errais, président du collectif Halte au Massacre en Birmanie (HAMEB).

Propos recueillis par Emilie Tôn,publié le 11/12/2016 à 15:20 , mis à jour le 04/01/2017 à 10:30 via L’Express

Depuis le 9 octobre, les Rohingyas, une minorité musulmane en Birmanie, sont victimes d’un très fort épisode de violence perpétrées par l’armée birmane. Près de 30 000 personnes ont été déplacées. Parmi eux, 20 000 ont fui vers Bangladesh voisin. On comptabilise des dizaines de morts, plus de 1200 maisons brûlées (d’après les images satellites de Human Rights Watch) et de nombreux viols. Les enfants souffrent de malnutrition car les autorités birmanes interdisent l’accès aux ONG. L’information a du mal à passer, les journalistes -y compris birmans- sont bloqués par l’armée, tout comme les vivres et les médicaments acheminés par les ONG. 

Tout est parti de fait divers: des attaques de postes de police, qui ont fait neuf morts, ont été attribuées aux Rohingyas, dont la responsabilité n’a pourtant jamais été prouvée. En “représailles”, l’armée birmane a lancé une opération contre toute la communauté. Ce n’est pas la première fois que l’armée ou les groupes bouddhistes extrémistes utilisent des prétextes pour s’en prendre à cette population: un moine bouddhiste bousculé, un viol dans un bus… Chaque fois, les autorités tuent des dizaines, voire des centaines de personnes. La punition est collective. 

Une propagande conduite par l’Etat et des moines extrémistes

Les Rohingyas représentent la plus grande communauté apatride au monde, avec un million d’individus: les Nations unies la reconnaissent comme étant l’un des peuples les plus persécutés de la planète. Le collectif Halte au Massacre en Birmanie a été créé en août 2012, au lendemain des premières escalades de violences à leur encontre, visibles sur la toile. A l’époque, les médias annonçaient 200 morts, des chiffres sous-estimés en raison des difficultés d’accès aux territoires concernés. 

Les exactions envers le peuple Rohingyas remontent cependant à une date largement antérieure puisque le statut même de minorité nationale leur a été retiré à l’arrivée au pouvoir du dictateur Ne Win, en 1962 en Birmanie

Du fait de leurs différences, ethnique et religieuse, les Rohingyas sont considérés comme des traîtres à la nation birmane qui tente, depuis son indépendance, de créer un Etat-Religion. Victimes de racisme -en raison de leur couleur de peau- et d’islamophobie, ils sont également accusés d’avoir pactisé avec le colon britannique. La junte birmane fait encore courir cette propagande contre la communauté aujourd’hui, avec l’aide de moines bouddhistes extrémistes (tel que le mouvement 969, issu du mouvement Ma Ba Tha) qui utilisent la religion comme source de conflit et qui prêchent pour la violence à l’encontre de cette population. 

Nettoyage ethnique ou génocide?

Peu de solutions se présentent pourtant aux Rohingyas, qui ne souhaitent pas quitter leur territoire, mais qui sont contraints de fuir vers les pays limitrophes. Bien souvent, ils se retrouvent dans des réseaux de trafiquants d’êtres humains qui exploitent cet exode. Ils sont kidnappés et revendus sur le marché de l’esclavage au Bangladesh et en Thaïlande, sont parfois tués par les passeurs ou sont dépouillés au passage des frontières. Le Bangladesh, ignorant les recommandations de la communauté internationale, a par ailleurs officiellement fermé sa frontière aux nouveaux exilés. 

Les Rohingyas ne peuvent pas être considérés comme des réfugiés, car ils n’ont pas de nationalité. Ce statut d’apatride permet à la junte birmane de se déresponsabiliser du massacre qu’elle a entrepris, car cette population n’existe pas juridiquement. Elle ne peut donc pas être poursuivie puisqu’il n’y a pas de personnalité morale et juridique. Le système tourne en cercle fermé.  

Les Nations unies, comme la plupart des ONG, parlent d’un “nettoyage ethnique” et non de génocide, pour ne pas froisser l’Etat Birman. Reconnaître qu’il s’agit d’un génocide impliquerait une responsabilité politique et juridique, donc des indemnisations. Peut-être espèrent-ils encore négocier avec la junte à l’avenir? Une commission travaille actuellement sur le cas des Rohingyas. Son but n’est pas d’enquêter sur le génocide mais de proposer des solutions au conflit. Elle n’a qu’une valeur consultative et ne permettra en rien de prendre des sanctions contre la Birmanie. 

Début octobre, l’armée birmane lançait une nouvelle opération contre la communauté Rohingya. Les ONG et les Nations Unies parlent désormais de processus génocidaire. 

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